Interview exclusive-Tiken Jah Fakoly-Première partie : « Les ivoiriens ont idolâtré les trois leaders que sont Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié…Nous allons vivre une autre crise »

Interview exclusive-Tiken Jah Fakoly-Première partie : « Les ivoiriens ont idolâtré les trois leaders que sont Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié…Nous allons vivre une autre crise »

Ma dernière interview avec Tiken Jah date de 2007. C’était à Paris. Toujours en France, mais cette fois-ci, c’est dans la ville de Nantes que nous nous retrouvons. En marge de la 27 ème édition du festival Tissé Métisse où il était la tête d’affiche, l’artiste reggae a accepté de répondre à nos questions après une heure 30 minutes de concert. Très décontracté, à l’aise sur les sujets politiques ( comme c’es le cas généralement avec les artistes reggae à l’instar d’Alpha Blondy), Tiken Jah s’est exprimé sur tous les sujets à lui soumis. Ses rapports avec Alassane Ouattara, regrette-t-il d’avoir soutenu le RDR alors dans l’opposition ? Dans la première partie de cette interview de plus de trente minutes, Tiken Jah fait un constat amer : « Les ivoiriens ont idolâtré trois leaders politiques… ». Et pour lui, cela augure d’une crise à venir en Côte d’Ivoire.

Que représente la ville de Nantes pour toi ?

L’Afrique a une histoire avec la ville de Nantes. Beaucoup de nos ancêtres sont passées par cette ville dans le but d’aider la France. C’est ici que certains de nos frères viennent chercher des documents pour compléter leurs dossiers. C’est une ville qui a une histoire avec l’Afrique, et surtout l’esclavage. Voici ce que je retiens de Nantes.

Qu’est-ce que cela te fait de découvrir une telle ville qui est assez représentative de l’histoire du continent africain ?

Je suis heureux de découvrir la ville de Nantes avec son histoire à travers le monument qu’est le mémorial de l’abolition de l’esclavage. C’est le symbole de la reconnaissance du combat que nos ancêtres ont mené.

Le peuple est libre de nous suivre ou pas…

Programme très chargé en cette fin d’année où tu as donné plus d’une dizaine de concerts à travers toute la France…Là, tu pars à Abidjan pour un autre festival. On doit s’attendre à quoi ?

Ce sera dans la même dynamique que la tournée que nous avons effectué en France. ça fait bientôt trois mois que nous sommes en tournée. Tout s’est bien passé un peu partout où nous sommes passés. Nous n’avons jamais « tapé poteau »( rires). Nous avons donc affiché complet tout partout où nous avons joué. On espère que ce sera pareil à Abidjan. ça fait un bon moment que nous ne nous sommes pas produits à Abidjan. C’est l’occasion de venir voir notre nouveau spectacle.

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Les artistes reggae à la faveur de tels concerts lancent des messages forts. Peux-tu nous donner un aperçu de ce que sera le message que tu vas lancer lors de ce spectacle à Abidjan ?

Non, il n’y aura pas de messages extraordinaires. Nous viendrons juste chanter. A travers nos chansons, il y’a déjà des messages. Nous faisons la musique reggae qui a toujours rimé avec la politique. Nous essayons d’éveiller les consciences. Nous informons et guidons le peuple tout en donnant notre avis. Le peuple est libre de nous suivre ou pas. Bob Marley, Peter Tosh, grâce à leurs musiques ont contribué à éveiller les consciences de leurs peuples. C’est ce que nous essayons de faire aujourd’hui en Afrique. Bob Marley a dit que le reggae retournera un jour à sa source, et cette source, justement, c’est l’Afrique. Je dis ça, parce que je m’étonne souvent de voir des personnes demander pourquoi un tel artiste reggae parle de politique tout le temps. Mais je ne fais pas de coupé décalé. Quand tu fais du reggae, tu es obligé de parler de politique un peu. Les reggaemen sont les voix des sans voix. Lorsque les populations sont manipulées par les politiciens, le reggae doit s’exprimer.

Non, je n’ai pas de regrets du tout

Le combat musical de Tiken Jah a été étiqueté à un soutien au RDR ( Rassemblement des Républicains) lorsque ce parti était dans l’opposition. Avec les deux mandats du président Alassane Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, n’as-tu pas des regrets d’avoir mené un tel combat ?

Non…Je n’ai pas de regrets du tout parce que les traces de la gouvernance de Alassane Ouattara sont là. Même ceux qui ne l’aiment pas, quand ils viennent en Côte d’Ivoire, ils voient que des projets de développement sont menés. Ils voient aussi qu’il a stabilisé ce pays. Maintenant, je pense que c’est l’opposition qui n’a pas joué son rôle…

…Lorsque cette opposition est emprisonnée, que peut-elle faire ?

Tu crois que les marches en France, ça fait plaisir au gouvernement ? Ce n’est pas parce qu’on vous dit de ne pas marcher que vous allez croiser les bras. Le problème que nous avons eu en Côte d’Ivoire durant toutes ces années, c’est que tous les combats ont été mis en veilleuse pour se focaliser sur la libération de Gbagbo. Ceux qui sont opposés à la gouvernance de Alassane Ouattara ont fait de la libération de Gbagbo leur combat principal. Aucun combat n’a été mené pour l’amélioration des conditions de vie des ivoiriens ( le manque d’eau, le manque d’infrastructures sanitaires…). A des moments, nous avons pris position pour essayer d’être neutre. Nous avons critiqué Gbagbo. Il était important pour moi de rester moi-même, rester fidèle à ma ligne de conduite. Il ya des moments où j’ai essayé de dénoncer des choses, mais cela n’était pas suffisant pour certaines personnes de l’opposition parce que tout le monde voulait que je rentre dans « libérez Gbagbo ».

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Ce n’est pas parce que le gars est en prison que je vais changer de langage.

…Justement, on ne t’a pas entendu t’exprimer sur le sujet

Mais parce que je ne suis pas une personne qui se dédit. Je ne peux pas dire une chose, et son contraire. Tout le monde sait que j’ai beaucoup critiqué le régime de Laurent Gbagbo. C’est par rapport à ce régime que j’ai été en exil, et je ne m’en cache pas, c’est un régime que j’ai combattu. Ce n’est pas parce que le gars est en prison que je vais changer de langage…Même si je souhaitais qu’il sorte de prison parce que c’est un compatriote, c’est un frère, c’est un africain, un ivoirien, mais je ne me voyais pas rentrer dans ce combat de « libérez Gbagbo » parce que c’est un combat qui était devenu une mode. Si une personne ne s’y engageait pas, c’est comme si elle n’était pas un vrai Ivoirien. Je n’ai pas voulu faire comme tout le monde. C’est un combat légitime que je respecte, et qui a été mené par certains compatriotes. Mais je dis que l’histoire d’un pays ne doit pas s’arrêter à une personne. Et c’est ce que les ivoiriens ont fait. Aujourd’hui, les ivoiriens ont idolâtré trois personnes, Gbagbo, Alassane et Bédié. On ne se bat plus pour la Côte d’Ivoire. Mais on se bat plutôt pour que telle ou telle personne arrive au pouvoir. Nous sommes dans cette logique et ça fait que nous sommes aveuglés. Nous devrions plutôt être, après tout ce que nous avons traversé, dans la phase de la prise de conscience et aller à l’unité…Nous avions même réussi à nous réconcilier parce qu’il faut savoir que les ivoiriens se parlent. Il y’a certes des accrochages idéologiques, mais les ivoiriens se parlent. Malheureusement, nous n’avons pas pu mettre la pression sur ces différents leaders afin qu’ils se réconcilient. Donc leurs palabres, c’est la répercussion qui va diviser à nouveau les ivoiriens. Et nous allons vivre une autre crise… (A suivre…)

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