
Côte d’Ivoire-Politique-Des présidents Félix Houphouët Boigny, Henri Konan Bédié, Guéï Robert, Laurent Gbagbo à Alassane Ouattara-A quand l’alternance démocratique ?
En Côte d’Ivoire, de Félix Houphouët Boigny à ce jour, aucun chef d’État n’a jamais cédé le pouvoir à son successeur dans les règles de l’art, dans un pacifisme salutaire et démocratique. Du père de la nation au quatuor qui a brigué la magistrature suprême, aucun n’a laissé la main à son remplaçant sans que la lagune ne s’agite. Aucun. Houphouët Boigny est mort sur son trône, créant au pied de sa tombe une querelle « brouillardeuse » pour sa succession. C’est le président de l’Assemblée Nationale, qui, au regard des dispositions de la constitution, est devenu après la mort du premier président post indépendance le nouveau locataire du palais présidentiel au Plateau. Le pouvoir d’Henri Konan Bédié, mû par un discours martial, vogue sur un océan agité avec les muscles des opposants qui se gonflent à l’entrée de son palais, prêts à tout pour lui damer le pion.
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Henri Konan Bédié emporté par un coup d’état

Après six ans à la tête de la Côte d’Ivoire, Henri Konan Bédié est fauché en plein exercice par un coup d’État militaire qui aura beau être tagué de putsch pacifique, il n’en demeure pas moins qu’il ne s’est pas opéré sans effusion. Y a-t-il césarienne sans que le bistouri n’ouvre la poche du sang ? La ville est assiégée de treillis, et c’est le général Guéï Robert qui vagit à la naissance violente d’un nouveau pouvoir applaudi par la quasi totalité des prétendus démocrates. « Papa Roméo » qui avait promis qu’il balayerait la maison et s’en aller par la suite, est enivré, enlisé par l’amour du fauteuil-Juliette au point de s’y accrocher assidûment. Le 22 Octobre 2000, à la suite d’une élection non inclusive, Honoré Guié, président de la CEI, proclame Laurent Gbagbo vainqueur des élections. Le militaire refuse de céder les clés du palais à un Gbagbo âpre et téméraire. Insurrection, répression, une centaine de morts, puis le Woody accède à la magistrature suprême, devenant le quatrième président de la République de Côte d’Ivoire.
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Laurent Gbagbo, une gouvernance face à la rébellion militaire

Le pouvoir des refondateurs ne pagayera pas sur une rivière paisible. Deux ans seulement après, soit en 2002, le pays connaîtra l’un des épisodes les plus sanglants de son histoire. Coupé en deux par une rébellion armée, les nombreux accords de paix signés ça et là ne suffiront pas à lui garantir une élection présidentielle non agitée au bout de dix ans du règne Gbagbo. Au deuxième tour de l’élection présidentielle en novembre 2010, la LMP désavoue les résultats du président de la CEI Youssouf Bakayoko donnant Alassane Ouattara vainqueur. Elle se recroqueville sur le Conseil Constitutionnel de Paul Yao N’dré pour revendiquer sa légitimité à continuer la gestion du pouvoir d’État. S’en suit un bras de fer sanglant entre la République du Golf et celle de la Majorité Présidentielle. L’affrontement prendra fin le 11 avril 2011 par le bombardement de la résidence présidentielle. Dès lors, Alassane Ouattara respire une grosse bouffée d’oxygène en entamant véritablement l’exercice de ses fonctions de chef d’État. Le rideau du Woody se ferme douloureusement.
Alassane Ouattara au pouvoir depuis 2011
À ses premières heures de gouvernance, le pouvoir d’Alassane Ouattara connaîtra aussi des soubresauts. Les commissariats sont sujets à des attaques surprises à la Pearl Harbor. Des belligérants, comme des Ninjas tapis dans l’ombre, sèment le trouble avec la politique de la terre brûlée. Le pouvoir d’Abidjan réussit toutefois à étouffer les attaques et à se faire réélire aux présidentielles de 2015, plébiscité par son complice le PDCI fondu au RHDP : c’est l’une des élections sans effusion de sang après l’ère Houphouët. Depuis lors, Alassane Ouattara a toujours entretenu des discours ambigus au sujet de son ticket pour la présidentielle de 2020. Grattera, grattera pas ? L’ex premier ministre d’Houphouët qui avait dit avoir besoin seulement de 5 ans pour changer ce pays a finalement avalé 10 brochettes. Manifestement, elles ont été tellement succulentes qu’elles en appelleraient à la gourmandise. Après des mois de silence, à la faveur de sa visite à Katiola dans le Hambol, Alassane Ouattara évoque 2020 en affichant une position embrouillée. Il affirme qu’il est l’heure pour sa génération de céder le tablier. Leur temps est fini ! En revanche la fin de leur temps ne dépendrait pas de lui mais de ses adversaires, les vieux loups ! Quel discours éloquent pour un président sortant qui, à quelques temps de la présidentielle devrait plutôt brandir le langage intransigeant ! Et non se mettre à des enfantillages tel que nous le faisions lorsque nous étions tout-petits : « Si Papitou ne se lave pas, moi aussi je ne vais pas me laver. Je veux bien aller à l’école mais comme René est resté à la maison, moi aussi je vais rester… »
Les cas du Bénin, du Liberia…
Yayi Boni au Bénin, Ellen Sirleaf Jhonson au Libéria, n’ont pas eu besoin de se créer des arguments farfelus pour s’accrocher au pouvoir. Au terme de leur deuxième mandat, ils se sont docilement éclipsés, évitant la brochette de trop qui est parfois source d’indigestion tel que ça l’a été pour Mamadou Tandja au Niger. Le président Alassane Ouattara ne manque pas de faire miroiter son bilan lors de ses interventions tout en projetant encore son équipe dans un avenir lointain. Derrière cette posture, il y a un non-dit : le travail réalisé par son gouvernement est un motif suffisant et indiscutable pour mériter de reconduire le peuple durant plusieurs autres années encore. Alors que la démocratie ne fonctionne pas ainsi. Un bilan, aussi positif soit-il, peut être éconduit par le peuple, car c’est lui qui décide ! Alassane Ouattara donne l’impression de voir sa gestion comme un joyau, un « boyau » dont il a tellement pris soin que n’importe quel vautour n’a pas le droit de s’en approcher. Son clan à lui est exclusivement le garant de la santé politique et économique du pays. Alors que dans le jeu démocratique, le peuple, selon son libre arbitre, est libre d’élire des charognards. C’est son droit.
Ce que Alassane Ouattara aurait pu faire !

Alassane Ouattara aurait été plus élégant s’il avait été ferme lors de son allocution sur le pupitre du Hambol. Ferme en refusant sans condition une prolongation de trop tout en invitant les autres vieux loups à lui emboîter le pas. Toutes les fois qu’il a affirmé au public son intention de se retirer, remarquez qu’il a été salué avec des vibrants applaudissements : c’est la volonté du peuple qui se manifeste à travers ces battements de mains. « Tout le monde pourra être candidat », a dit le président. Je l’imagine dans la même arène que des petits à qui il a donné à téter, lancés frénétiquement dans la course à la présidentielle. C’est ainsi qu’on est sage et que la politique est belle ! L’erreur de bon nombre de présidents africains déifiés par leurs militants, c’est qu’à un carrefour, ils ne savent plus les enjeux encourus au gré de leurs décisions… Houphouët n’a pas laissé la main. Henri Koan Bédié non plus, n’a pas laissé la main. Non non, Robert Guéï n’a pas laissé la main. Non, Laurent Gbagbo n’a pas laissé la main. En laissant enfin la main pour se faire arbitre des échéances à venir, Alassane Ouattara a l’occasion de rentrer dans l’histoire par la grande porte ! Le fera-t-il ?